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Le blog de Jean-Marie Alfroy

Les Corridors du Passé

17 Septembre 2017

André Hardellet n'es pas seulement l'auteur de 3 récits attachants (Le Seuil du Jardin, Le Parc des Archers, Lourdes, lentes...), il est surtout poète. En vers, sa poésie plutôt conventionnelle ne mérite guère qu'on s'y attarde trop,  mais en prose il atteint l'excellence. Un petit maître, diront quelques esprits chagrins. En ce qui me concerne, je récuse tout adjectif et lui reconnais l'entièreté du titre. Parmi ses nombreux recueils, parus d'abord chez Seghers puis chez J.-J.Pauvert, Les Chasseurs et Les Chasseurs deux me semblent des ouvrage majeurs.

Qui sont donc ces chasseurs ? Certainement pas des hommes (ou des femmes) traquant des garennes ou des perdrix, pas plus que des sangliers. Ce sont plutôt des chasseurs de rêves ou de souvenirs enfouis dans la conscience, battant les buissons et les ronces de lieux secrets, voire interdits. Il existe une topographie spécifique à André Hardellet ; elle est essentiellement urbaine, même si la Gloire où il pêchait les truites au temps de ses premières amours (cf. Lourdes, lentes...) revient comme un leitmotiv. La plupart du temps, le lecteur est invité à s'aventurer dans des endroits un peu écartés d'une ville (Paris), portant les stigmates de la vétusté et de l'abandon. Voici à titre d'exemple l'incipit du "Logis d'Aramis", l'un des textes composant le recueil Les Chasseurs deux :

"Vous n'avez qu'à pousser la porte d'un ancien lavoir, dans une impasse de mon quartier, et à suivre la rivière qui coule là. Tantôt elle passe sous des voûtes moussues, éclairées (mal) par des soupiraux, tantôt elle se fait jour entre des constructions  vétustes, inhabitées en apparence. Inutile de chercher son tracé sur des plans, même très vieux ; elle fait sans doute partie de ces paysages clandestins que contient toute grande ville, et soigneusement tenus à l'écart des documents officiels ". (p.119)

Au départ, le décor est réaliste, à peine insolite ; tout le monde en a vu de pareils. Mais l'expression "paysages clandestins" nous met en alerte : derrière la banalité se cache le mystère. Quelle en est donc la nature ? A coup sûr subversive, puisque on nous suggère que le pouvoir en place veut à tout prix que nous demeurions dans l'ignorance.En fait, nous nous trouvons devant l'une des entrées possibles de ces "corridors du passé" qui permettent de communiquer avec une autre temporalité. Celle de notre mémoire, mais aussi celle de notre imaginaire ou de notre subconscient. Mémoire vécue et mémoire imaginaire se confondent souvent chez Hardellet.

En effet, un autre récit-poème tiré du même recueil s'intitule Le Temps incertain. La polysémie  du substantif installe ce principe d'incertitude. Si l'on s'en tient à l'incipit (Le temps est incertain, tel qu'il l'aime et orageux, avec de brèves éclaircies... p.107), il ne s'agirait que du temps météorologique. La suite prouve que non. Le narrateur anonyme est témoin d'une scène qui le trouble : au milieu d'un chantier abandonné (on est en train de restructurer la zone), des fillettes en tablier noir accompagnées par des religieuses viennent faire "un "quatre heures" de jadis" ; leur tenue vestimentaire, leur "réserve désuète", leurs jeux (rondes, "quatre coins", osselets) n'appartiennent pas à l'époque violente et brutale dans laquelle vit ce narrateur. Celui-ci en vient à admettre que faute de repères la scène dont il est le témoin se situe dans un temps incertain. D'ailleurs les fillettes s'évanouissent à la lisière d'un bois, comme par enchantement.

Les clavecins de Trianon font partie du recueil précédent. Un promeneur au milieu d'un bois entend soudain une musique qu'il identifie comme Le Pierrot lunaire de Schönberg. C'est alors qu'un personnage vêtu comme un Vénitien du XVIII° siècle lui barre la route en lui criant : "Hé! monsieur, plus tard, beaucoup plus tard..." (p.63) Il fait demi-tour, découvre les ruines d'un chalet ou d'une pagode, rentre à son hôtel. Bien des années après il écoute l'oeuvre de Schönberg mais ne reconnaît pas la musique ouïe dans le bois. Il reste convaincu qu'il avait entendu le "vrai Pierrot lunaire" alors qu'il voyageait sans le vouloir dans un lieu qui l'avait transporté au XVIII° siècle semble-t-il.

Ces trois exemples de "corridors du passé" vous donneront peut-être le désir de mieux connaître l'oeuvre d'André Hardellet. Aujourd'hui elle est disponible en 3 tomes dans la collection Gallimard/ l'Arpenteur. Hardellet n'est plus un auteur infréquentable. Il m'arrive parfois de le regretter.

Jean-Marie Alfroy                         le 17 septembre 2017

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