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Le blog de Jean-Marie Alfroy

Deuxième brelan !

4 Avril 2022 , Rédigé par Jean-Marie Alfroy

photo J.-M.A.

Au jeu du poker poétique, j'abats un nouveau brelan,  j'ai les bonnes cartes. Que les lecteurs ne s'offusquent pas de la photo qui sert de couverture à cet article : je l'ai prise il y a quelques années dans un parc où des installations d'art contemporain étaient proposées au public. Ce parc est aujourd'hui fermé hélas, définitivement.  Je trouve ces têtes chevalines à la fois esthétiques et amusantes. Cela m'évite en même temps de télécharger des images d'auteur qui risquent de ne pas être libres de droits.

Le premier poète que je tiens à mentionner s'appelle Claude Serreau, il a été mon confrère de comité de lecture pendant six ans et c'est à cette occasion que j'ai pu lire une part importante de sa bibliographie. Tous les titres commencent par un mot dont l'initiale est un R, en hommage à René-Guy Cadou, homme de l'Ouest comme lui et dont la poésie l'a séduit dès sa jeunesse. Ce qui caractérise le mieux le style de Claude Serreau, c'est sa très pure musicalité (l'homme est d'ailleurs fin mélomane et flûtiste amateur). Il utilise souvent l"hexamètre, donnant ainsi de la légèreté aux méditations les  plus profondes. Il n'y a rien non plus de nombriliste dans sa posture, bien que comme tout poète lyrique il accorde la prédominance à ses émois face au temps qui s'écoule, au mystère de chaque destinée, à commencer par la sienne ; il sait pourtant, lorsqu'il le juge nécessaire faire écho aux grands soubresauts de l'Histoire (la Seconde Guerre Mondiale, Hiroshima, par exemple).  

Son dernier recueil paru fin 2021 témoigne d'une belle vitalité créatrice à un âge où la plupart de ceux qui écrivaient ont laissé tomber la plume ou abandonné le clavier de l'ordinateur. Après trois difficiles et éprouvantes années - triste apanage de la vieillesse - Claude Serreau célèbre un bonheur qu'il sait très éphémère - d'où le sous-titre " les parenthèses du soir". Cet hymne à un ultime amour à l'heure où le soleil décline à l'horizon est particulièrement touchant de beauté et d'émotion. Retenons avant tout le titre, Résurgence, métaphore consolatrice empruntée au lexique de la géographie. Voici un court extrait :

Dans les yeux gris du temps /  redescendu sur terre / en novembre parfois / quand le vide est prégnant / d'une allégeance claire / à l'intime du corps / s'entend de loin la voix / qui saura récuser / l'absence ou le décor / usé de cet ailleurs.

(...) Garante de ce monde / aube propitiatoire /   une femme ravive / un espoir inconnu / des années au long cours /  dont le présent s'égare / ô amère salive...

C'est une invitation, je crois, à lire ou relire les ouvrages antérieurs de Claude Serreau.

Pour mes lecteurs les plus anciens qui ont eu l'indulgence de persévérer, le nom de Françoise Vignet n'est pas inconnu : par deux fois (Jardins et talus, Bestiaires poétiques) j'ai signalé la qualité de son travail, tant dans l'écriture poétique que dans son activité d'informatrice sur la Toile sur un site confidentiel mais extrêmement  performant. Retirée dans le Gers, cette femme d'esprit et de coeur a fait de nombreux voyages en Extrême-Orient, réceptive à une culture très différente de celle de l'Occident ; une part de son inspiration en a gardé l'empreinte, il suffit pour s'en persuader de lire son Journal de mon talus paru aux éditions Alcyone il y a cinq ans : une belle méditation fusionnelle avec la nature au fil des saisons (d'où l'importance des mentions calendaires). Elle a su aussi faire preuve de malice et d'impertinence dans son Bestiaire déjà cité.

Mais depuis trois ans, la disparition d'un être cher, outre le deuil qu'elle a provoqué, a ravivé des blessures plus anciennes et des couleurs plus sombres, un ton de lamentation plus lyrique - sans aucun pathos cependant - se sont substitués à l'ancienne sérénité. Elle nous en a donné en avant-goût tout récemment dans le numéro 81 de la revue Poésie Première (très beau numéro titré "La peinture la poésie"). Voici un court échantillon :

L'air est  vif au matin d'hiver - et la campagne, vert amande, sous la mince gelée blanche, soie transparente.

Entre le givre et l'herbe, je me glisse, proche des morts aimés. De cet abri éphémère, je lis le monde en son envers - légère, détachée -

Bientôt dissoute dans la lumière.

J'aime infiniment la métaphore sous-jacente du linceul de givre sous lequel la mort n'est plus que sublimation lumineuse. Attendons à présent la publication du recueil dans sa totalité.

C'est grâce au site de Françoise Vignet que j'ai pu découvrir récemment une auteure dont j'ignorais l'existence, Odile Caradec, décédée à la fin de 2021. Cette Bretonne devenue Poitevine d'adoption, germanophone qui fit une carrière de documentaliste et fut aussi une belle femme jouant du violoncelle (à un bon niveau pour une amatrice semble-t-il)  était devenue une très vieille dame qui n'avait rien perdu de sa fertilité créatrice et de son humour, qualité rare chez les poètes.

Il faut oser composer un poème sur l'ostéoporose par exemple. Pari réussi.  Odile Caradec use d'un vers charnu, sensuel ; nous sommes très loin de cette "poésie du peu" très en vogue dans certains milieux. Personnellement, je m'en réjouis. Le poème le plus emblématique pour moi est celui intitulé "Voeux pour une mise en bière" dont je cite un court passage :

Item je veux que l'on me mette / en violoncelle / ma bière aux hanches fines / qui tant chanta contre mon ventre / ensuite en bonne terre. (...)

Item afin que nul n'oublie / les joyeusetés de la vie / fifres, tambours : et le bruit sourd / que fait la terre / en digérant un corps fidèle.  

Des accents à la Villon pour mieux allier le macabre à la plaisanterie. Du travail d'orfèvre.

Voilà pour aujourd'hui. Il y aura sans doute d'autres brelans, ou carrés. Mais pour éviter la monotonie, j'aborderai d'autres sujets dans mes deux prochains articles.

Jean-Marie Alfroy                    le 4 avril 2022

 

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