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Le blog de Jean-Marie Alfroy

Les poètes face à la montagne.

8 Octobre 2018 , Rédigé par Jean-Marie Alfroy

La vie est souvent paradoxale : un jour du mois d'août 2000 j'ai acheté sur le marché de Pornic, à deux pas de l'Océan, un livre de poche d'occasion intitulé La montagne en poésie. Avais-je alors la nostalgie de mes chères Alpes du sud ? C'est possible. En fait, il s'agit d'une anthologie éditée en Folio junior, présentée par Michel Cosem... qu'on ne présente plus aux amateurs de poésie.

On y trouve de très grands noms comme ceux de Reverdy, de Char, de Guillevic, de Bonnefoy, de Jaccottet. D'autres moins connus mais de notoriété équivalente : Jean Grosjean, André du Bouchet, Michel Butor, Louis Guillaume, Lorand Gaspar, Bernard Noël, André Frénaud.  De plus confidentiels enfin que les lecteurs de revues salueront au passage : Luc Bérimont,  Jean-Vincent Verdonnet,  Jean-Max Tixier,  Michel-François Lavaur.

La première réflexion qui me vient à l'esprit est que la montagne s'avère, non pas réfractaire, mais assez résistante à la poésie. Dans son introduction, Michel Cosem ne s'en cache pas : Le mot "montagne" n'est pas de ceux que les poètes utilisent à tout moment. Il est lourd, difficile (...). Il n'a pas en lui-même la luminosité de la mer, la rapidité de la rivière ".  En effet, les poètes préfèrent les domaines liquides ou aériens, plus propices à l'intuitive communication avec des ailleurs pressentis mais jamais cartographiés.

Les Lances de Malissard (Chartreuse).

La montagne est plus prosaïque, plus encombrante dans l'imaginaire lyrique, plus rétive à la transsubstantiation par les mots. Elle ne joue pas les enjôleuses : sur les rivages les jours de beau temps la mer peut faire croire qu'elle est bonne fille, alors que c'est une tueuse ; au fond d'une vallée, même sous l'azur, pour peu qu'on élève le regard on comprend que la montagne n'est pas là pour rigoler. Les poètes sont trop souvent enclins à la saluer de loin, la considérant comme un noble décor à la manière de Léonard de Vinci dans ses portraits ; ou bien ils tentent de la contourner - ce qui n'est pas si facile !

Maurice Carême use d'un humour bon enfant lorsqu'il écrit : J'ai parcouru les Vosges bleues / Sur un vélo lourd comme l'Empire. Passe pour les Vosges, mais les Pyrénées, les Alpes ? Dans un genre totalement opposé, Michel Butor n'est pas plus convaincant : ses Montagnes Rocheuses en bas de casse ou en capitales romaines ont du mal à exister sur la page. En revanche, Jean-Max Tixier me ravit grâce à son anthropomorphisme cosmique : Je comprends la montagne / A la tension de ses mamelles vers l'espace (...) J'embrasse la Terre Mère /  Avec des lèvres rajeunies. Chez Jules Supervielle on touche à la question essentielle : Le corps de la montagne hésite à ma fenêtre: / Comment peut-on entrer si l'on est la montagne, / Si l'on est en hauteur, avec roches, cailloux  (...) ?

Mais selon moi, celui qui domine tous les auteurs choisis, c'est Jean-Claude Renard, et ce n'est sans doute pas un hasard si c'est lui que Michel Cosem cite le plus abondamment, tant au début qu'à la fin de son anthologie. Jean-Claude Renard fait partie des poètes reconnus dont l'audience reste cependant confidentielle - il n'est pas le seul dans ce cas - et on ne peut que le regretter. Dans les extraits de " Dits d'un livre des monts ", on est tout de suite emporté par des versets qui semblent écrits au rythme de la marche sur les sentiers. La première raison à cela, c'est, il me semble, que Jean-Claude Renard a compris que, pour évoquer la montagne dans ce qu'elle détient d'universel, il faut commencer par rendre compte d'une expérience vécue dans une montagne en particulier - en l'occurrence le Massif de la Chartreuse. D'où le rôle primordial des toponymes : Chaos de Bellefonds, Pic de l'Oeillette, Lances de Malissard, etc. Ces toponymes sont riches de potentiel poétique intrinsèque : Vallombré, Dent de Crolles, Chamechaude n'ont pas besoin d'exégèse, ils parlent d'eux-mêmes à notre imagination ou à notre souvenir, selon qu'on les a fréquentés ou non.

Les variations de la lumière sur les roches, les odeurs végétales, la présence latente d'une faune mystérieuse ne sont pas des prétextes à s'extasier sur une nature idyllique - la montagne n'est jamais rassurante puisque, comme on vient de le vérifier, elle n'est que pics, dents, gouffres et chaos - mais des manifestations d'une possible transcendance. La spiritualité authentique de Jean-Claude Renard n'a rien d'une lévitation intempestive dans le but d'épater la galerie ; pour monter le plus haut possible, il faut d'abord appuyer de tout son poids sur l'herbe ou la caillasse ; telle est la leçon qu'il nous offre généreusement : Ce fut avant le déluge rouge que les signes mûrirent à la Diat, - la vraie parole d'alliance. /  Et depuis ce temps, même par nuit, comme des racines sous la neige, dure une joie.

Après ces deux magnifiques versets, on a envie d'entendre le célèbre choral de Bach, "Que ma joie demeure". Face à la montagne, Jean-Claude Renard retrouve les accents prophétiques de ceux qui se sont retirés " au désert " pour mieux rencontrer les sources de notre mystère d'être au monde.

Jean-Marie Alfroy, le 8 octobre 2018 

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